La liberté des médias continue de régresser dans le monde entier. A l’ère du numérique, la tendance à la criminalisation des journalistes et à la traque des reportages indépendants est de plus en plus féroce, prévient Mme Irene KHAN, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression.
Pourquoi la liberté d’expression et d’information contribue-t-elle à la protection de tous les autres droits humains ?
Irene Khan : La liberté d’expression et d’information protège la recherche d’informations auprès de diverses sources, ainsi que la réception et la diffusion libres d’informations. En échangeant librement des informations et des opinions, les individus parviennent à comprendre le monde dans lequel ils vivent et ils peuvent ainsi agir en connaissance de cause. Des médias libres, indépendants et pluralistes sont indispensables à la réalisation de nombreux autres droits. Lors de la pandémie de COVID-19, nous avons vu à quel point l’accès à l’information était important pour nos droits à la santé et à la vie.
Ce droit est d’autant plus important pendant les conflits armés ; il devient alors un « droit à la survie ». La vie des civil•e•s et le respect de leurs droits fondamentaux dépendent de l’accès à l’information. Les civil•e•s ont besoin de communiquer avec leur famille et ami•e•s, ils ont besoin d’informations sur la situation en matière de sécurité, sur les endroits où trouver les services essentiels. Cela passe aussi par un accès à l’internet.
LA PROTECTION DES JOURNALISTES, PIERRE ANGULAIRE DE LA LIBERTÉ D’INFORMATION
« Les journalistes ne devraient pas faire l’objet de poursuites pénales pour leur travail, mais c’est pourtant le cas dans de nombreux Etats. Les condamnations sont d’autant plus fortes pour les publications en ligne qui ont une résonance internationale. La société civile, les avocats et les citoyen·ne·s doivent veiller à ce que liberté d’expression offline et online soit respectée, et qu’elle ne puisse être restreinte que dans les conditions clairement édictées par les droits humains. » Irène Khan
Observez-vous une dégradation de la liberté d’expression ces derniers temps ? Comment cela affecte-t-il vos priorités ?
Les temps sont durs pour la liberté d’expression dans un contexte de montée de l’autoritarisme, de rétrécissement de l’espace civique et de menaces pour les droits de l’homme et la liberté des médias. La technologie numérique a révolutionné l’information et les modes de communication, augmentant les possibilités de liberté d’expression, mais elle a également apporté de nouveaux défis et risques, notamment les menaces de surveillance, les violations de la protection des données, la désinformation et la mésinformation. Je suis particulièrement préoccupée par les attaques en ligne, les discours haineux et la désinformation. Davantage doit être entrepris pour rendre ces plateformes sûres.
Les lois destinées à limiter les fausses nouvelles sont-elles une solution ?
La criminalisation du partage d’informations fondées sur des idées vagues et ambiguës, comme les « fausses nouvelles », viole le droit à la liberté d’expression et ne limite en rien la désinformation. Une information diversifiée et fiable est un antidote évident à la désinformation. Les gouvernements peuvent y contribuer en encourageant le développement de médias indépendants, libres, pluralistes et diversifiés.
Les entreprises numériques doivent assumer leur responsabilité en matière de respect des droits humains et faire preuve de diligence raisonnable, y compris par un réexamen de leur modèle économique, et être tenues responsables des actes de répression numérique, tels que les suppressions et les manipulations de contenus. Il y a un besoin urgent de transparence.
L’éducation aux médias, à l’information et au numérique donne aux gens les moyens d’agir et les rend résistants à la désinformation et à la mésinformation. Elle devrait faire partie du programme scolaire national dans tous les pays du monde.
Je suis particulièrement préoccupée par les attaques en ligne, les discours haineux et la désinformation.